Lapproche M2MC: Aller audelà des batailles sémantiques, pour la mettre en œuvre

Approche multi-milieux multi-champs ou multi-domain operation ?

Le contexte de crise actuel est à l’origine d’une accélération du besoin de combinaison des instruments de pouvoir se traduisant notamment dans le domaine militaire par une approche dite « Multi Domain Operations » (MDO) dans l’OTAN ou multi-milieux multi-champs (M2MC) en France.

L’approche M2MC française définit les milieux comme étant terrestre, maritime, aérien, extra-atmosphérique et cyber, tandis que les champs couvrent les espaces informationnel et électro-magnétique. Dans l’OTAN, le « Multi Domain Operations » fait référence aux domaines suivants : Mer, Terre, Air, Espace et Cyber. L’influence est considérée comme étant une approche transverse qui irrigue tous les domaines.

 Au-delà des batailles doctrinales entre d’un côté les français défenseurs du concept des milieux et des champs, et de l’autre le reste de la communauté otanienne qui plus simplement ne se réfère qu’aux domaines,  le véritable enjeu pour tous reste la capacité à combiner les actions des effecteurs de toute nature agissant dans des milieux, des champs ou des domaines différents pour provoquer des effets sur le système en crise et in fine atteindre les objectifs. 

La combinaison des instruments de puissance n’est pas chose nouvelle, elle constitue depuis plus de 20 ans le fondement de l’approche globale des crises, devenue l’approche intégrée au sein de l’Union Européenne. 

Le concept et la problématique étant posés, bien des questions induites par le M2MC n’ont pas encore été pleinement traitées. A l’instar de l’approche globale, l’idée est bonne, les véritables questions concernent sa mise en œuvre : qui s’en charge, quels sont les outils disponibles ? 

L‘art opératif apporte des éléments de réponse. L’art opératif est l’art d’identifier les meilleures voies et les moyens nécessaires, dans une approche globale et multi-domaines, tout en gérant au mieux les risques, pour atteindre les buts fixés.  Sans l’art opératif, les campagnes et les opérations se présenteraient comme une succession d’engagements tactiques sans liens entre eux. L’art opératif est donc celui de la combinaison des effets, il est lui-même la combinaison de processus, d’une capacité technologique (outils, systèmes) mais également d’un art littéraire, celui entre autres qui permet de rédiger des ordres de coordination, clairs, précis et bien compris par toutes les composantes et tous les effecteurs.

Lorsque l’on parle Multi-Domain Operations aux Etats-Unis, la réponse reste principalement technologique, elle suggère le développement et l’emploi de systèmes d’information et de communication plus performants, permettant l’irrigation de données du niveau stratégique jusqu’au plus bas niveau tactique, une transmission des ordres, un contrôle opérationnel serré etc. 

L’approche technologique est nécessaire, bien sûr, mais, à notre avis, pas suffisante. Elle doit être complétée par une approche fonctionnelle : 

  • Quel niveau décide des effets à préparer et à produire ?
  • Comment sont établies les priorités ?
  • Qui autorise ou restreint l’emploi de tel ou tel effecteur ?
  • Comment synchroniser des effecteurs agissant dans des champs et des temporalités différentes ?

Une réponse dans le processus de décision de l’état-major opératif

Cette approche fonctionnelle, complémentaire de l’aspect technique, figure dans les processus menant à la décision, d’un état-major de niveau opératif.  

L’opérationnalisation du concept M2MC y trouve en effet son point focal au sein du processus de synchronisation de la campagne, processus qui est une des raisons d’être de l’état-major opératif et qui se trouve être parfaitement décrit dans la doctrine.  Celle-ci détaille, en effet, les groupes de travail et les sujets à traiter mais également la production de l’état-major opératif dont l’ordre majeur, l’ordre de coordination interarmées, qui  doit être utiliser pour mettre en œuvre l’approche M2MC, moyennant une adaptation limitée, et l’assurance d’une solide formation des officiers rédacteurs. 

Au sein du PC opératif, un processus collaboratif et pluridisciplinaire prévoit justement l‘appréciation de situation sur le moyen terme par les experts de tous les champs et de tous les milieux, l’élaboration d’options de réponse, leur comparaison et la présentation au commandant de la force. Pour alimenter ce processus, des groupes de travail pluridisciplinaires interviennent pour traiter chacun de domaines particuliers dont l’influence, le ciblage, la protection de la force, le cyber… 

Les experts de chaque milieu ou champ participent en indiquant les contributions possibles de leur fonction opérationnelle à l’effet recherché.

Est-il donc pertinent de vouloir ajouter des groupes de travail supplémentaires (Working Group), du type M2MC WG, à seule fin de prendre en compte l’approche M2MC ? Ne serait-il pas plus efficient de mieux utiliser les outils déjà existants, JCB WG (Joint Coordination Board working group, groupe de travail d’élaboration de l’ordre de coordination interarmées), JTIACBWG (Joint Targeting and Information Activities Working Group, groupe de travail de coordination des effets physiques, virtuels et cognitifs), ce qui éviterait de ralentir le cycle de décision par l’accumulation d’organes de synchronisation, nécessitant eux-mêmes des niveaux de synthèse supplémentaires.

En d’autres termes, ne serait-il pas plus cohérent de mieux faire avec quelques évolutions, avant de proposer des révolutions dont toutes les conséquences sur le cycle de décision sont difficiles à mesurer par avance ?

Ce processus collaboratif et pluridisciplinaire qui existe d’ores et déjà est soutenu par des expertises. Des officiers experts de chaque domaine contribuent efficacement aux différents groupes de travail.  Il en est de même de la structure des éléments de liaison entre le niveau opératif et les composantes, équipes de liaison suffisamment robustes pour contribuer au travail d’état-major et à la prise de décision.

La clé de la combinaison des effets et des actions dans l’ordre de coordination interarmées

Nous avons vu la technologie, les processus, regardons à présent la production. Celle-ci nécessite d’écrire, elle fait appel à l’art littéraire. La force d’un état-major est de traduire une appréciation de situation en décision puis en ordre. C’est d’abord et avant tout un ordre majeur qui doit cadrer la portion de campagne opérationnelle traitée, permettre l’initiative des composantes et des effecteurs, la mise à disposition des moyens, la définition des priorités, l’identification et la prise en compte des risques pour ne citer que ces éléments.  

Cet ordre majeur d’un état-major opératif, c’est l’Ordre de Coordination Interarmées (OCI ou Joint Coordination Order, JCO dans l’OTAN). Celui-ci dans sa structure standardisée par l’OTAN répond à la problématique du M2MC. Il n’est peut-être pas suffisant en l’état mais il constitue sans aucun doute un point de départ particulièrement utile et un guide pour ceux qui croient dans la nécessité de combiner les effets, de synchroniser les actions et de mettre en synergie les effecteurs. 

 Que trouve-t-on dans cet OCI qui pourrait nous aider à mettre en œuvre une approche M2MC ?. Quels sont, dans l’OCI, les paragraphes que cette nouvelle approche nous oblige à appréhender de façon plus fine et plus détaillée ? 

Outre l’intention du commandant de la force, ainsi que les objectifs et les effets à réaliser dans le cadre espace-temps qu’il couvre, l’OCI comporte plusieurs parties propices à la mise en œuvre d’une approche M2MC. Ainsi, le paragraphe 4 « Domaines de synchronisation, effort principal et opérations majeures », propose un tableau indiquant les domaines d’actions nécessitant ce type de coordination, avec les composantes placées en position de menant ou concourant (Supporting/Supported relationship) suivant le cas. 

Limiter la synergie entre les composantes notamment, à la désignation d’un « menant » et de plusieurs « concourants » ne semble pas combler totalement le besoin en directives permettant une mise en œuvre efficace des opérations M2MC. Le tableau pourrait être adapté pour y ajouter le rôle exact de chaque acteur d’une opération complexe, les besoins en termes de SIC et de renseignement par exemple et les commentaires permettant de mieux définir le cadre multi-champs et multi-milieux de l’action envisagée. Les acteurs du M2MC agissant dans des tempos opérationnels différents, il y a là l’occasion de préciser les besoins nécessaires à leur utilisation synchronisée. L’OCI doit donc expliquer comment techniquement la contribution de chaque effecteur est rendue possible. 

Il s’agit ensuite de traduire cette combinaison dans la matrice de synchronisation qui se trouve en annexe de l’OCI. Cette matrice permet de visualiser la chronologie et la cohérence des actions, des opérations de chaque composante ou effecteur pour réaliser les effets recherchés par l’OCI. 

Dans le paragraphe 5, les missions aux composantes doivent se lire comme étant les missions données aux effecteurs pour la portion de phase traitée par l’OCI considéré, quelle que soit la délégation de commandement ou de contrôle accordée. Le rôle attendu du commandement cyber par exemple devrait y figurer. 

M2MC ou MDO, une occasion d’améliorer la synergie entre les effecteurs de tout nature

L’approche M2MC ne représente donc pas réellement une révolution dans la conduite des opérations au niveau opératif, mais elle a le très grand mérite de remettre en lumière l’importance fondamentale de l’OCI et de rappeler ainsi la nécessité de réapprendre à mieux rédiger cet ordre qui est l’ordre majeur du niveau opératif pour la coordination des composantes.

Trop d’exercices s’arrêtent à la planification de l’opération, négligeant la rédaction et la critique des ordres.  Une adaptation à la marge des processus et des produits est sans doute nécessaire, mais c’est à partir de cas d’usage concrets travaillés lors d’exercices notamment, que la rédaction de ce type d’ordre fera apparaitre d’éventuels besoins techniques non couverts.

Le M2MC est d’abord un état d’esprit qui vise à une meilleure synergie entre les instruments mis à disposition d’un commandant de force. Il est temps de dépasser le concept « soutenu-soutenant » (« relations bénéficiaires en appui, RBEA » en français) toujours utile mais insuffisant pour réaliser des actions coordonnées au millimètre gage d’une efficacité accrue. Cette maîtrise du niveau opératif (structures, processus, production) s’inscrit, bien évidemment, dans les travaux en cours à l’OTAN sur la conception et la conduite d’opérations majeures (article V) en Europe. En particulier, l’évolution du rôle des composantes, la transformation du SHAPE en Strategic Warfighting Headquarters sont de nature à renforcer le rôle du niveau opératif. D’un point de vue national, posséder la capacité opérative permet de comprendre et in fine d’influencer les processus de décision dans l’OTAN.